Le web-philo d'Hugues Poltier

Dans ces pages philosophie politique, vous trouverez des textes représentatifs de mon évolution intellectuelle. Dans une première phase de mon travail, j'ai été saisi par la vague du discours antitotalitaire (mon "moment Lefort"), vague que l'éloignement de l'épisode soviétique, implosé en 1989 avec la chute du mur de Berlin, a bientôt rendu "inactuel" (mais guère intempestif). J'ai prolongé quelques années encore cette vague, mais des fissures apparaissent progressivement jusqu'à ce que, vers 2000, environ, je revienne à ce que, pendant un temps, j'avais négligé: savoir la bonne vieille "critique de l'économie politique". Mes travaux actuels s'inscrivent majoritairement dans cette orientation. En cliquant sur le titre des articles vous ouvrirez un fichier pdf dans un nouvel onglet. Ils sont tous rassemblés ici dans un fichier zip.

De la division de la cité: de son sens et de sa portée politique (Colloque Machiavel, 2019)

D’un mot, la division sociale entre Grands et Peuple, « Grasso » et « Minuto » s’affirme sans voile comme le fait structurant décisif du présent. C’est à l’examen de la contribution de Machiavel à la mise au jour et à l’approfondissement de la compréhension et de la portée de cette division que je m’attache ici. Ma lecture se concentre sur l’articulation de l’un et de la division dans la constitution de la cité. Elle entend en approfondir la compréhension en invitant à entendre cette division comme non seulement constitutive/ante du corps politique mais aussi comme étant le processus même – toujours-déjà et toujours-encore à l’œuvre – de son devenir-un. S’ensuivrait que l’idée d’une cité stabilisée, réconciliée en elle-même et en toutes ses parties tombe sous cette « image qu’on en a » que Machiavel entend écarter au profit de « la vérité effective de la chose » (P, ch. 15).

La démocratie libérale, simple appendice du capital ?
Avec l'autoritarisme pour destin ? (2019)

Je tente ici une lecture exclusivement politique du livre de Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d'art politique (2019). L’enjeu est de restituer sa lecture du régime actuel des libertés, cause supposée des désordres présents ; ainsi que les correctifs proposés. Ceux-ci introduits, que serait le « nouveau » visage du « libéralisme politique », cet horizon indépassable de la modernité ? De sérieux « correctifs » viendraient très significativement entamer la liberté d’expression et de communication : de la presse donc. Poursuivant l’analyse, on montre que « libéralisme » tend à se confondre avec défense de la propriété, lucrative avant tout. Sous l’étendard du libéralisme, ainsi, l’A s’avance masquant son service au capital, maître ultime.

Rôle politique des services publics (2010)

La question à poser : en changeant, le rapport politique-économie a-t-il simplement évolué, s’est-il juste adapté aux transformations techniques, nomiques, médiatiques ; ou au contraire peut-on/doit-on parler d’un changement de nature de ce rapport, voire d’une sorte de « révolution » – une révolution conservatrice ainsi qu’on l’entend ici et là ?
En d’autres termes, ma question est de déterminer ce qui, d’hier à aujourd’hui a changé – et les choses ont changé, sans aucun doute – et si ce changement peut être compris comme le produit des dynamiques à l’œuvre depuis l’aube du capitalisme industriel et financier (lequel commence grosso modo avec la révolution industrielle) ; ou si, au contraire, ce changement peut être compris comme le passage d’un monde à un autre, qui serait marqué par l’apparition de règles nouvelles – nouvelles au sens précis qu’elles seraient inintelligibles dans le paradigme de l’ancien monde.
En un mot, avons-nous changé de paradigme ?

De l'institution du sujet – et de quelques conséquences sur ses nouages aux formes de l’être-ensemble (2007)

Sous l’influence des débats anglophones – voire surtout étatsuniens –, le champ de la philosophie politique est largement sous l’emprise de la gigantomachie en laquelle s’affrontent, titans de la théorie politique contemporaine, les dits « libéralisme » et « communautarisme ». C’est à se défaire de la fascination de l’écran sur lequel se livre à nos regards médusés cette gigantomachie qu’invite la présente contribution. A cette fin, je me propose ici d’interroger les deux présupposés qui sous-tendent les discours libéraux et communautariens, soit le sujet et son autonomie chez les premiers, et la communauté ainsi que le « bien commun » chez les seconds. Plus précisément, je commencerai par m’interroger sur ce qu’est un sujet et quelles sont ses conditions d’existence et les éléments de réponse à cette question me donneront les ressources pour réfuter à la fois la présupposition libérale du sujet autonome et celle d’une communauté substantielle en tant que principe et fin du sujet moral.

Raison e(s)t domination (2006)

L’histoire de l’Aufklärung qu’Adorno et Horkheimer dessinent, c’est celle de l’assujettissement de la raison à la conservation de soi, principe moteur de l’ordre bourgeois. Le sujet = la conservation de soi = les formes d’organisation collective de la maîtrise sur la nature ; et la raison, sujet apparent, ravalé au rang de simple outil du projet de maîtrise ; et les individus aliénés à cette fin dont la mise en œuvre passe par la médiation de la domination des uns sur les autres. L’entreprise critique de A&H = critiquer l’illusion d’autonomie de cette raison-instrument en montrant qu’elle est produit de ce projet d’autoconservation par la médiation de l’organisation collective du travail – et cela dans le but de libérer la raison de cet asservissement.

Politically correct : un relent de maccarthysme (2006)

Disqualifier les représentants des mouvements de défense des droits des minorités, qu’est-ce à dire… sinon une volonté de les faire taire ou, ce qui revient au même, d’exclure leur parole du débat public au titre d’extrémiste, d’excessive ? Qu’est-ce à dire encore, sinon la volonté de la majorité (par quoi il faut entendre ici : les « majeurs » de l’espace public, ceux qui y ont la parole) de pouvoir impunément continuer à jouir de leurs privilèges immémoriaux aux dépens des « minorités » (= de tous les infans privés de parole jusqu’il y a peu). Lorsque Bill Lind, déjà cité, évoque, la larme à l’œil, les années cinquante du XXe siècle comme l’époque bénie où l’Amérique était heureuse, paisible et harmonieuse, le lecteur critique tremble de tous ses membres : la référence heureuse, c’est donc ce « bon vieux temps » où le KKK sévissait impunément, où les femmes nourrissaient docilement leur névrose et où les blagues racistes et sexistes confortaient les mâles blancs dans leur assurance d’être les seigneurs, et où, on commence à l’oublier, ceux qui étaient soupçonnés de sympathie communiste étaient pourchassés avec la plus extrême férocité.

Démocratie, Europe, capitalisme (2006)

Que reste-t-il aujourd’hui de cette «vérité de la démocratie» que Lefort dit avoir découverte à la lumière du totalitarisme ? Ce dernier s’étant effondré sous le poids de ses propres ruines, allons-nous entonner, avec Fukuyama et consorts, l’hymne du triomphe enfin accompli de la démocratie cependant que partout sur la planète s’affirme la marche impérieuse et irrespectueuse du capital en quête de sa reproduction élargie ? En un mot, le spectacle de l’«époque hors de ses gonds» que nous vivons, livré bien plus à la puissance dévorante du capital en Exode qu’à celle de l’autodétermination des peuples n’invite-t-elle pas à réinterroger le geste qui conduisit Lefort à «découvrir la liberté dans la démocratie [et …] la servitude dans le totalitarisme» ? Revenir donc sur la démarcation lefortienne de la démocratie et du totalitarisme afin d’établir si, en dépit de ses intentions proclamées, cette défense de la démocratie ne renferme pas la possibilité de ce qui se déploie aujourd’hui sous nos yeux, savoir cette auto-affirmation illimitée du capital. C’est à une telle relecture critique que je me livre ici.

Démocratie, égalité, libéralisme (2002)

La question ici abordée est celle de la démocratie présente. Le point de départ de cette interrogation réside dans le constat, en forme de paradoxe, qu’en dresse Marcel Gauchet : d’une part, observe-t-il, il apparaît que la démocratie est entrée dans l’incontestable, en clair que plus aucun groupement politique ne paraît sérieusement envisager de la renverser ; d’autre part, relève-t-il cependant, il semble bien que, simultanément, se soit défait «le sens de l’aspiration au gouvernement de soi collectif» – mettant ainsi en cause ce qui est réputé être le sens, la visée originaire constitutive de l’aspiration démocratique, savoir la volonté des individus, se posant comme citoyens, de prendre en mains leur destin, de se faire les auteurs, collectivement, de leur monde. Bref, si, selon le propos de Fukuyama, «la démocratie libérale pourrait bien constituer le “point final de l’évolution idéologique de l’humanité” et “la forme finale de tout gouvernement humain”, donc être en tant que telle “la fin de l’histoire”», tout se passe simultanément comme si nous avions abandonné la visée d’une politique autonome, comprise dans un sens proche du souverain rousseauiste et de l’autonomie au sens de Castoriadis.

Le néolibéralisme masque le capitalisme en mutation (2001)

La question centrale qui oriente mon propos est celle de savoir si, véritablement, le concept de néolibéralisme constitue une bonne clé pour la compréhension de ce qui se passe. Je défends la thèse que l’invocation critique du «néolibéralisme» n’est pas sans danger, dans la mesure où le critique, à dépenser toute son énergie dans la critique de la rhétorique «néolibérale» risque de perdre de vue la dimension idéologique de ce discours – et cela en un sens très proche de celui de Marx, à savoir sa capacité de masquer les rapports sociaux réels sous la phraséologie du marché. Contre cette démarche, je souligne la nécessité, pour le comprendre, de réencastrer le néolibéralisme dans le capitalisme et son histoire. Ce qui apparaît alors, c’est que le moment néolibéral correspond à une nouvelle phase historique marquée par la possibilité pour le capitalisme de poursuivre sa finalité en faisant sécession d’avec l’État.

Une pensée de l'histoire posthégélienne et postmarxiste (2000)

Le courant de pensée que je présente ici – la pensée politique d’inspiration phénoménologique du XXe siècle – insiste à la fois sur sa dette envers Hegel et Marx et sur sa distance avec leurs pensées. Aucun d’eux, je crois, n’accepterait ou n’aurait accepté d’être qualifié d’hégélien ou de marxiste. Parmi les principaux représentants du courant de pensée dont je vais vous brosser à gros traits le rapport qu’elle entretient avec l’hégéliano-marxisme, on peut mentionner notamment Hannah Arendt, Claude Lefort, Cornelius Castoriadis, Marcel Gauchet et plus récemment Marc Richir et Robert Legros.

La pensée antitotalitaire en France (2000)

La pensée antitotalitaire française est l’enfant bâtard des aspirations révolutionnaires et de la critique du régime soviétique. Immédiate ou progressive, peu importe, la reconnaissance de l’inversion de signes entre, d’un côté, la figure rêvée de l’utopie d’une société émancipée de la domination du Capital et, de l’autre, la découverte d’une tyrannie inouïe, marquée par une terreur inconnue sous les régimes oppresseurs du passé, cette reconnaissance, donc, a été le moteur de la pensée antitotalitaire en France. En cela, la destinée de l’Union soviétique a été au cœur de l’histoire de cette pensée, voire plus généralement de l’histoire du pays comme tel tout au long de ce siècle.
Le présent exposé s’articule autour de deux axes, d’une part l’histoire de la réception du phénomène totalitaire par l’intelligentsia française, et d’autre part, une brève présentation des grands axes de la réflexion sur le totalitarisme.

Entre herméneutique et discussion rationnelle,
éléments pour une théorie normative de l'action collective (1998)

Mon propos s’inscrit dans le contexte d’une recherche sur le problème de la fondation ou de la justification des normes de justice. L’idée directrice en est donnée par une analyse sémantique de l’idée de justice. Ainsi lorsque nous disons que X est juste, nous sous-entendons que X est acceptable par toutes les parties en présence, pour autant bien entendu que chacune d’elles adopte une attitude raisonnable dans la controverse. Selon cette indication, il serait, en principe en tout cas, possible de parvenir à un système de normes justes, c’est-à-dire acceptables par tout sujet rationnel. On arrive ainsi à l’identification classique de la justice et de la rationalité, plus exactement à la thèse selon laquelle l’ordre socio-politique juste n’est rien d’autre que le système des normes que, raisonnablement, nul ne peut rejeter. Cette identification, bien entendu, ne résout rien. Car la question reste entière : qu’est-ce que la raison ? ou plus exactement, qu’est-ce que la raison pratique ? qu’exige-t-elle de nous ?

La domination du social dans la modernité, obstacle à la politique (Colloque Hannah Arendt, 1997)

En appeler à la réaffirmation du primat du politique sur l'économique est sans doute justifié. Cet appel ne risque-t-il cependant pas de tourner court ? Ou plutôt, ne conviendrait-il pas de commencer par s'interroger sur ce qui le rend nécessaire, i.e. sur les causes de cette prééminence de l'économie dans toutes les sociétés modernes ? A défaut, ces appels ne sont-ils pas condamnés à s'enfouir dans les sables de ce désert que décrit par ailleurs avec tant de force Hannah Arendt ? Car, insiste-t-elle à plusieurs reprises sous des formes variées, «le désert est le monde dans les conditions duquel nous vivons» (QP, 136). Et s'il en est ainsi, nous devrions toujours avoir à l'esprit cette réalité du désert et en même temps le souci d'en comprendre la source et la puissance.

La justice peut-elle naître du contrat social ? (1997)

Mon propos dans cet article est de m'interroger sur les ressources du contractualisme pour donner une solution à la question de la justice, plus précisément à la question de la justice distributive ; ou encore, puisqu'il ne s'agit pas de donner des réponses au cas par cas, à la question de la détermination des principes de justice et de la structure de base de la société capable de les satisfaire. L'occasion de cet examen m'est donnée dans la réactivation contemporaine de la tradition du contrat social, initiée par Rawls (1972) et poursuivie, notamment, par David Gauthier (1986) et Otfried Höffe (1991). La question que je veux soulever dans cette étude est celle de savoir si les contributions apportées par ces auteurs à la théorie du contrat social répondent de façon satisfaisante aux critiques qui lui avaient été adressées par le passé et si les solutions qu'ils apportent au problème des principes de l'ordre politique juste sont en mesure de contribuer à résoudre les problèmes qui sont aujourd'hui les nôtres.

Qu'est-ce que la pensée du politique ?
Une introduction au projet philosophique de Claude Lefort (1994)

L'article se donne pour tâche d'introduire à la "pensée du politique" du philosophe français Claude Lefort, et surtout marquer l'originalité de ce projet philosophique par rapport à la philosophie politique classique. Contestant la possibilité d'une normativité donnée de manière immédiate, Lefort, disciple de Merleau-Ponty, centre toute son attention sur le travail d'interprétation, qui le conduit à élaborer la pensée du politique comme compréhension des différentes formes de société. C'est par ce biais phénoménologique seulement que peut se reconstruire une dimension normative. En préliminaire, l'article donne une brève biographie, et en conclusion, une bibliographie sélective.

La pensée politique de Claude Lefort,
une pensée de la liberté (1993)

La conviction dont part Lefort est que la vie sociale en tant que telle est toujours sous-tendue par des questions dont le contenu varie avec les sociétés. Il conçoit la tâche de la pensée du politique comme la tentative de les faire surgir et de les déployer dans toute leur ampleur. Ma thèse est que, pour Lefort, les questions politiques de notre temps convergent toutes vers celle d'un devenir de la liberté. Si cette question surgit de notre expérience, c'est parce que, spontanément, nous l'interprétons en termes de liberté. Ainsi, nous parlons de notre droit de faire ceci ou cela, de notre conviction que nul n'est habilité à nous obliger à faire certaines actions, à embrasser une croyance déterminée, etc. Bref, la liberté est une signification immanente à notre mode d'existence politique. Mais elle est en même temps une question toujours ouverte, car nous ne cessons pas de nous interroger sur la forme de coexistence humaine qui lui est la plus adéquate. Si mon interprétation est exacte, on doit pouvoir montrer que toute la réflexion politique de Lefort s'ordonne autour de cette exigence d'éclairer les «conditions d'un devenir de la liberté».